Moi, et le marchand de sable.

Publié le par desmotsdudimanche

On rumine souvent sur nos faiblesses récurrentes, sur nos comportements qui ne changent pas, malgré nous, malgré les situations qui se répètent. On regarde plus rarement ces petites victoires sur nous-mêmes, ces choses qui ont évoluées et qu’on ne prend pas vraiment le temps de remarquer, alors que parfois, elles ont bouleversé nos jours, ou nos nuits...

J’ai 9 ans. Je suis blottie dans mon lit bien chaud et tout doux. Maman m’a souhaité bonne nuit en me bordant, papa est venu ensuite me donner un baiser. Il a laissé la porte de ma chambre entrouverte et le filet de lumière dessine grossièrement les objets de ma chambre.
Je déguste ce moment où je peux enfin lancer en pensées, les films que j’avais gardé bien au chaud dans un coin de ma tête pendant la journée. Chaque soir j’y ajoute un détail, une réplique, une minute. Mais très vite, je ne me sens pas à l’aise, le silence se fait et la peur se fait entendre. Il faut dormir et moi, je ne sais pas dormir.


Passer de l’état de conscience à celui du sommeil, comment fait-on ? J’ai oublié.  J’ai oublié comment conjuguer à la première personne le verbe « s’endormir ». ça marche avec toutes les autres personnes mais pas la mienne. Comme chaque soir, j’ai caché les chiffres rouges de mon radio réveil. Je sais qu’ils sont coupables, qu’ils me sont nuisibles. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de les regarder avec appréhension, toutes les heures, puis toutes les cinq minutes, les signes de la nuit qui avance et qui me laisse sur le départ, sans partir, ou toujours en retard.
J’ai peur de ne pas m’endormir avant cette heure tardive, alors je me pose des ultimatums. Si à 1h je ne dors pas….J’allume la lumière, je me lève, l’appartement me semble plus grand que le jour,  tout le monde dort. Alors, je vais chercher le réconfort, pour quelques minutes, je me blottis au creux de maman, sentir que je ne suis pas seule.


J’ai 18 ans. J’ai grandi et mes insomnies aussi. Je suis capable de faire des nuits blanches. Les heures passent et je suis de moins en moins apte à m’endormir, parce que je m’obstine. Et parce que j’ai toujours peur, peur de ne pas dormir. J’évite les situations où je dois dormir avec d’autres. Ils dormiront toujours avant moi, ils me laisseront toujours seule. Je compte les moutons qui courent dans mon cerveau, les chiffres rouges qui me narguent. Quand enfin le sommeil m’attrape, je ne sais même plus comment, comment j’ai fait ça, quelle est la formule, je veux la saisir pour pouvoir la répéter, mais non, je ne sais pas dormir.


J’ai 26 ans. Je ne cache plus les chiffres rouges. Ils ne me font plus peur car je m’endors toujours plus vite qu’ils ne passent. Quand parfois, le sommeil tarde un peu, je souris et j’accueille l’insomnie. Mais trop accueillie, elle ne veut pas rester longtemps.
Il suffisait de ne plus avoir peur. Je le savais, depuis le début je le savais, mais elle ne voulait pas partir, elle était trop bien nourrie où elle était. Mais aujourd’hui c’est fini, j’ai 26 ans et je sais dormir.

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T
Yes, encore une fois, super texte !!<br /> <br /> A la prochaine !
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B
Ca nous ramène toujours à un bout de soi, ces écrits.
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